C’est devant une salle comble qu’avait lieu hier soir la première de la pièce Antigone de Sophocle, réappropriée par trois auteures québécoises et mise en scène par Olivier Arteau. Douze acteurs se sont partagés la scène multifonctionnelle du théâtre Le Trident pendant deux heures pour offrir une adaptation surprenante de cette œuvre antique.
Certainement une œuvre suggérée par plusieurs professeurs du Cégep, Le Trident a osé présenter un personnage important des mythes grecs, bien que cette mythologie ait été déclassée par de nombreux autres mythes ou idéologies. D’ailleurs, pourquoi ces mythes grecs sont-ils toujours aussi présents dans l’imaginaire occidentale?
Antigone
Fille d’Œdipe et de Jocaste, sœur de Polynice, Étéocle et Ismène, Antigone appartient à la lignée maudite de la famille royale de Thèbes. La tragédie originale s’ouvre alors qu’Étéocle est sur le trône de Thèbes, après le décès d’Œdipe, et que son frère, Polynice, refuse qu’il y siège. Une dualité entre les lois humaines et les lois naturelles
Mais d’abord Polynice
Les rideaux fermés, éclairage tamisé, Lucien Ratio (Polynice) passe entre les rideaux et s’exclame : « Osti qu’on crève! » Le puriste en moi a pris un coup; des jurons dans Antigone, une pièce se déroulant en 440 av. J.-C. Il agrippe une guitare électrique et débute un monologue « musical » sur sa haine envers son frère, sur la façon dont ce dernier dirige la cité et sur l’état critique de la planète – notamment le réchauffement climatique obligeant les citoyens à porter des masques.
Originalement, la pièce ne fait pas état des idées de Polynice, mais les auteures de cette réadaptation ont décidé de lui donner une voix. Pourquoi? « Il fallait que je trouve la force de ce personnage-là : pourquoi Antigone le défend-elle? […] Il fallait que j’en fasse une figure complexe : explorer ses paradoxes sans qu’il en soit conscient. […] [L’homme aux multiples querelles] me déroutait constamment, j’ai donc accepté de n’avoir aucune emprise sur lui » (Annick Lefebvre, auteure). Une première brique énigmatique était posée pour ce personnage, mais aussi pour ouvrir la tragédie.
L’Ère du Romano Fafard
Pourquoi ai-je utilisé cette expression? D’abord choqué de voir les personnages antiques au nom de Créon, Hémon et Tiresias ou du Chœur vêtus de plastique, de masques, d’une caméra frontale et de genouillère, j’ai rapidement tourné la situation dans ma tête. L’ère « post-apocalyptique » ou « post réchauffement climatique », voire même l’aboutissement de l’anthropocène m’a soudainement fait penser aux personnages de Claude Legault et Guy Jodoin de Dans une Galaxie près de chez vous. Une fois l’image en tête, j’ai été en mesure d’apprécier la pièce et d’en saisir le message.
Cinq dualités, une pièce
S’asseoir pour écouter cette pièce, alors que j’en avais lu le texte près de six ans plus tôt au collège, c’était un peu comme me lancer dans le vide. J’ai été grandement surpris de reconnaitre aisément, grâce au jeu incroyable des acteurs, les dualités éternelles de cette œuvre, soit :
- Les jeunes contre les vieux;
- Les hommes contre les femmes;
- L’État contre l’individu;
- La mort contre la vie;
- Les mortels contre les dieux.
S’asseoir pour écouter cette pièce, c’est se plonger dans l’univers de trois auteures et d’un metteur en scène ayant en tête de vous faire voyager et réfléchir. Antigone doit-elle respecter les lois imposées par son oncle et ne pas offrir de sépulture à son frère Polynice ou doit-elle respecter les lois naturelles et enterrer son frère dans la dignité et l’humanité? Quelles sont les vies qui méritent d’être pleurées? Peut-on mourir dans la dignité? Telles sont des questions que la fille d’Œdipe nous adresse aujourd’hui.
Coups de cœur pour le jeu de Jean-Denis Beaudoin (Hémon) et Joanie Lehoux (Antigone) et pour l’utilisation surprenante de la scène, avec ses multiples attraits.
La pièce est présentée jusqu’au 30 mars au théâtre Le Trident de Québec!
Billets ici: https://www.letrident.com/pieces/antigone