Parue le 24 octobre dernier chez Nouvelle Adresse, la bande dessinée Le film de Sarah est la première publication de l’illustratrice, désormais autrice, Caroline Lavergne. J’ai eu le privilège de discuter avec elle, quelques heures avant son départ pour Schefferville. Retour sur cette précieuse discussion et sur cette oeuvre!
Le film de Sarah – Comment c’est arrivé
À l’été 2019, l’illustratrice Caroline Lavergne discute avec son amie Sarah Fortin, réalisatrice. Toutes deux parlent du premier long-métrage de Sarah, Nouveau-Québec, qui sera tourné à Schefferville à l’automne de la même année. À ce moment, Caroline devient autrice. Elle souhaite partager l’envers du décor de ce périple d’un mois avec sa plume et ses pinceaux.
Caroline : [Sarah] me parlait de tous ces éléments-là. « C’est loin, c’est compliqué. Les véhicules, il faut les louer, tu ne peux pas les apporter. Il n’y a pas de route. » La logistique était très compliquée. Comme j’ai écrit dans le début du livre, à quelques détails près […], je lui ai dit « J’peux-tu venir? » RIRE Je me suis vraiment invitée. Je voyais tous ces éléments-là. Je voyais l’aventure pour moi de ce film-là. Je voyais les aléas du tournage qui s’annonçaient intéressants. Il y avait toute la question de l’équipe de blancs de la ville qui débarque dans une communauté autochtone, dans une ville minière isolée au contexte socioéconomique vraiment particulier, avec une histoire méconnue, mais un peu centrale dans l’histoire du Québec. […] J’ai eu un moment de recul. Je voulais lire ce livre-là. Je le voyais en BD, je voulais lire cette BD-là. Ça faisait un moment que j’avais envie d’en faire une. Je me suis dit « Bon, bien, c’est moi qui vais la faire! »
Trois ans plus tard – livraison du projet
Si le tournage s’est déroulé à l’automne 2019, c’est aujourd’hui que l’aventure de la bande dessinée commence. Le film Nouveau-Québec, avec Christine Beaulieu et Jean-Sébastien Courchesne, est sorti au Québec au printemps 2022. Le long-métrage est bien différent de la bande dessinée qui, elle, se veut un récit documentaire, voire une auto-fiction, sur les coulisses de tournage, sur la communauté de Schefferville, sur les souvenirs de l’autrice Caroline Lavergne.
Christopher Que reste-t-il de ton aventure à Schefferville, trois ans plus tard?
Caroline On dirait qu’elle vient juste de commencer; c’est ça que je n’avais pas compris en faisant ce livre-là. C’est mon premier que je signe en tant qu’autrice. Ce que je n’avais pas réalisé, c’est à quel point [Le film de Sarah] commence maintenant. Sa vie commence maintenant. Quand les gens le lisent. Ce qu’il me reste, c’est un grand apprentissage et beaucoup d’amour pour ces lieux et ces gens-là. Tous mes souvenirs que j’ai du éditer, tout le montage que j’ai du faire, tout ce que j’ai du élaguer, pour finalement ramener, modeler. Ce qui en reste, c’est le livre. Et c’est ce que je trouve vraiment précieux. Ça, et 230 planches originales, que j’essaie de vendre! RIRE
J’ai appris à faire une bande dessinée en la faisant!
Christopher Le personnage de Caroline Lavergne dans Le film de Sarah, c’est qui?
Caroline Je me suis tellement cassée la tête, parce que je me suis posée des questions comment me rendre-là. Qu’est-ce que je raconte de moi-même pour être un bon guide, pour le lecteur, pour pointer les bonnes affaires, pour ne pas être haïssable? Je voulais m’effacer. Je voulais juste être la personne qui pointe les choses, pas que des anecdotes, mais qui raconte en tant que narratrice.
Le processus de création
Si le personnage de Caroline, dans la bande dessinée, semble tout peindre et dessiner dans l’urgence du moment, en plein coeur du tournage, la réalité est quelque peu différente!
Caroline Là-bas, je dessinais beaucoup. Tout le temps. Ceci dit, ce ne sont pas toujours des conditions idéales. Pluie, froid ou à l’intérieur, sans avoir nécessairement un bon point de vue. Donc j’ai pris beaucoup de notes, d’enregistrements audios, de photos. Puis quand je suis revenue à Montréal, j’ai tout mis ça dans un grand cahier spirale. Là, c’est « Ok, ça, c’est tout le matériel. Faut que ça devienne un livre. »
Et dans ce matériel-là, moi, je n’étais pas là. C’est moi qui racontais, mais c’était très observateur. Je pointais des choses, sans faire des liens.
Caroline Je ne me livrais pas du tout. C’est là que mon éditeur m’a dit « Ça nous prend un in. Nous, on n’était pas là. Il faut que tu nous dises où regarder. Sinon, ce ne sont que des anecdotes de tournage. » J’ai commencé à scénariser. Je n’avais jamais fait ça avant. Ç’a changé mon cerveau, la façon dont il fonctionne. […] J’ai travaillé sur le iPad, donc chaque page est un fichier .psd, avec beaucoup de layers et l’insertion de dessins de carnet aussi. Je voulais qu’on sente cette urgence-là, de capter tout ce qui se passe. Ça ne pouvait pas être trop liché. Puis, quand j’étais contente, je les faisais au propre, les nois; je les imprimais sur papier aquarelle; je les ai peint; puis re-scannés.
« Caroline, va falloir que tu te tasses. »
C’est la quatrième de couverture. C’est également une splendide planche en plein coeur de la bande dessinée. En tant que « documentariste » sur les différents lieux de tournage, Caroline devait se trouver de bons angles, sans toutefois déranger. Même la première de couverture représente un peu ce feeling. Le feeling d’une Caroline en plein centre de l’attention, alors qu’elle essaie le plus possible de s’effacer dans le coin des murs.
Christopher Drôle de question, mais combien de fois on t’a dit « Caroline, va falloir que tu te tasses »?
Caroline Beaucoup, surtout au début. Après, j’anticipais un peu. C’est là que j’ai été me promener ailleurs.
Dans sa bande dessinée, l’autrice nous présente l’envers du décor; les éléments importants pour Sarah. Sans le livre, on ne saurait pas nécessairement à quel point c’est important pour la réalisatrice que ce soit des gens de la place, à quel point elle a un grand amour pour cet endroit-là et pour les gens. À quel point c’est loin… c’est VRAIMENT VRAIMENT loin!
Je voulais qu’il y ait une carte! RIRE Pour qu’on comprenne. Une carte pour montrer que c’est loin, et une carte pour montrer à quel point c’est petit une fois que tu es rendu!
Une réussite sur toute la ligne! L’autrice parvient à nous faire comprendre assez facilement quels étaient les besoins de l’équipe versus ce qui existent et la réalité des gens de Schefferville. Heureusement, on peut y retrouver des points d’intersection.
Ce n’est pas qu’une BD. Ça va au-delà de la bande dessinée. Ce sont 230 planches, l’histoire qui est derrière, la réalité peinte des vies de Schefferville, c’est l’envers du décor! Chapeau!
Bon voyage à Schefferville Caroline! Bon voyage à ta bande dessinée et à ton histoire! C’est tout en ton honneur de parcourir ces quelques 1 395 kilomètres pour aller porter ton récit en mains propres à tes protagonistes! Passe le bonjour à Line, à Charlotte, à Jean-Marie et à toute la communauté de Schefferville / Matimekush – Lac John.