DOSSIER RECHERCHE
Lait biologique, reportages sensationnels sur l’industrie de la viande, la popularité du véganisme, toutes les raisons sont bonnes pour faire un retour sur ce qui se passe réellement avec l’industrie laitière du Québec.
La stabulation libre favorisée pour augmenter l’espérance de vie
Le séjour dans une ferme peut grandement affecter le bien-être des espèces bovines. L’espérance de vie normale d’une vache est de 20 ans, cependant la réalité dans une industrie comme celle du lait est toute autre. L’hiver, les vaches se retrouvent enfermées et on préfère généralement les mettre au pâturage pendant la saison chaude. L’espérance moyenne de vie d’une vache suivant ce type de parcours est de 5 à 8 ans, selon les professionnels de la ferme Favreau et Choinière de St-Alphonse-de-Granby. Pour des fermes qui proposent une stabulation fixe tout au long de la vie de l’animal, l’espérance est de 3 ou 4 ans. La cause de cet écart est que l’animal qui pèse près de 720 kg, ne peut bouger. Il cumule ainsi son gras sans le dépenser et ne bouge pas ses muscles.
Parfois affectées par l’obésité morbide, nombre des vaches qui subissent ce sort ne suivront pas le reste du troupeau. Pour Natalie Veinette de la Clinique vétérinaire de Granby, ce n’est pas tout à fait vrai. Selon elle, il n’y a pas de rapport entre stabulation fixe et libre. Le déséquilibre serait relié à l’alimentation et à l’industrialisation. En fait, l’humain a fait de ces espèces bovines une machine à lait en oubliant le rôle même de la vache dans l’équilibre de la vie.
Depuis la traite à la main, l’industrie laitière a fortement évolué. Aujourd’hui, plusieurs fermes ont opté pour la robotisation, un système qui permet de traire une vache sans le contact humain. C’est le cas de la ferme Mycalin de Saint-Alexis-de-Montcalm qui a installé ce processus depuis 2014. Très couteux, ce système permet toutefois d’avoir une meilleure gestion des bêtes et une meilleure qualité de vie, puisque la traite ne passe plus par l’homme. Cependant, doit-on s’inquiéter concernant le rapport homme-vache? La vétérinaire Nathalie Veinette mentionne que cette tendance à la robotisation ne fait qu’accentuer la qualité de vie des vaches puisque de toute façon, les vaches ne sont pas censées entrer en contact avec les humains, en autant qu’elles restent en troupeau. «Là où nous nous inquiétons, c’est par rapport au lien affectif qui unit les fermiers à l’animal. Les fermes qui s’engagent dans ce type de gestion doivent être conscientes du changement que cela implique», confie-t-elle.
Des casques de réalité virtuelle
L’homme cherche constamment à innover sur le plan de la technologie. Après les fermes robotisées, c’est au tour des casques de réalité virtuelle de faire leur entrée dans l’industrie laitière. On apprenait le 27 novembre 2019 qu’une ferme de Krasnogorsk, près de Moscou, a essayé cette technologie afin de réduire l’anxiété, augmenter l’humeur générale du troupeau et, bien sûr, augmenter la production de lait. (Radio-Canada)
Faut-il s’inquiéter quant à notre consommation?
Les fermes du Québec s’entendent pour dire qu’ils n’utilisent pas de produits chimiques pour la nourriture de l’animal. Cependant, des ajouts nutritifs (vitamines, médicaments) peuvent être présents pour des animaux malades ou pour les veaux en cas de besoin. Nathalie Veinette confirme que la présence d’antibiotiques affecte le lait et la viande.
La professionnelle explique qu’un animal nécessitant un antibiotique ou un quelconque médicament, doit suivre des règles strictes concernant son lait. Il doit être traité environ quatre jours, dépendamment du produit, et sera en retrait pendant trois autres jours. Ensuite, une analyse d’’échantillon est fortement conseillée aux fermiers afin de voir si le lait ne présente pas de traces. Durant la convalescence de l’animal, son lait est jeté afin qu’il ne puisse pas contaminer celui des autres vaches.
« Depuis l’existence de l’antibiotique, ce processus existe. Le test est obligatoire lors du transport de lait et si une ferme ne respecte pas le processus, il devra payer une amende», ajoute-t-elle
La séparation du veau
Dès ses deux ans, la vache peut avoir un premier veau. Elle devrait s’en départir trois jours après son accouchement, voir même immédiatement après, dû au taux important de colostrum dans son lait. Pendant 10 mois, elle peut produire 30 litres de lait, qui est plus que le besoin primaire de son veau. Selon Mme Veinette, pour donner une image métaphorique, la vache laitière produit sept fois plus de lait qu’il est nécessaire pour le veau. Certaines conséquences peuvent survenir concernant la santé de la vache si celle-ci n’est pas nourrie adéquatement. Pour produire autant de lait, l’animal doit manger des engrais spécifiques, des types de plantes plus nourrissantes contenant plus de protéines. De la moulée à base de maïs et du foin en guise de nourriture n’est pas suffisant pour la quantité de lait exigée par les entreprises. On voit ici que l’industrie pousse la limite naturelle de la vache. La vétérinaire tient à rappeler que l’animal est herbivore et qu’on ne doit pas le dénaturer. Après l’accouchement, une pause de deux mois est nécessaire avant de remettre la vache enceinte. Pour le petit, deux options s’offrent à lui. Si c’est un mâle, il doit aller à la boucherie et si c’est une femelle, elle grandira pour suivre les traces de sa mère.
Les vaches peuvent avoir entre trois et quatre petits au cours de leur vie jusqu’à sept, ce qui donne une lactation de 306 jours sur 365. Lorsqu’elles ne sont plus en mesure d’enfanter, qu’elles sont blessées ou malades, c’est l’abattoir qui les attends.
Les lacunes de l’industrie
Fromages d’ici, pas tant d’ici qu’on nous fait croire
Les Producteurs de lait du Québec s’accordent pour dire que la vente première de leur produit est le fromage (46%,fromage, 25%, beurre et poudre de lait, 19% lait et crème et 10 % yogourt). Un détail qui passe actuellement sous silence concerne ce qui se trame réellement derrière la production.
Depuis le 21 septembre 2017, l’Accord économique et commercial global (AECG) permet au Canada et à l’Europe d’échanger leurs produits afin de faire prospérer l’économie. On pointe du doigt actuellement que l’Europe exporte une trop grande quantité de produits et qu’en retour, elle n’importe pas assez, ou même que son taux d’importation de produits canadiens n’a pas bougé. Ce qui fait qu’en bout de ligne, le Canada est plus que perdant. Le plus surprenant, c’est ce qui se passe derrière les comptoirs des fromageries d’ici.
Selon une artisane fromagère (qui préfère garder l’anonymat ), les fromageries locales importent de la poudre à lait et des barils de crème venus de l’Europe pour la mélanger avec le lait québécois. Pendant que les fermes québécoises restent prises avec un surplus de poudre à lait vendu à un prix plus couteux que l’Europe, l’industrie laitière européenne vend le sien pour un prix minuscule. Donc, les fermes québécoises doivent délibérément jeter leur produit puisque peu de fermes veulent encourager l’achat de ce produit qu’elles peuvent trouver moins cher ailleurs.
«La différence entre l’Europe et le Canada, c’est le quota! Ici, on nous impose le nombre de vaches que nous devons avoir et le nombre de litres que nous devons produire. C’est ce qui assure notre rentabilité. Sans cela, on est foutu! Par contre, en Europe, il n’y en a pas de quota. Ils produisent le nombre qu’ils veulent et nous envoient leurs restants pour une fraction du prix qu’on vend. Il est là le véritable problème.» confie Alex Godin de la ferme Godin et Frère, une ferme qui en est à sa quatrième génération.
Le réchauffement climatique pointé du doigt
Après le secteur de l’énergie fossile, c’est l’élevage qui a le plus haut taux d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Au Québec, l’augmentation des GES se traduira d’ici 2050, par une hausse des températures de 5ºC au sud et 9ºC au nord, principalement en hiver, selon les Producteurs de lait du Québec. Selon Jean Nolet, président et directeur général de Coop Carbone, les émissions de gaz à effet de serre proviennent de la rumination des vaches, des lisiers, de la culture dans les champs et des équipements qui consomment les énergies fossiles.
Ces animaux possèdent dans leur rumen (un de leurs 4 estomacs) des bactéries qui dégradent la cellulose : une fibre très solide des végétaux. Cette fermentation naturelle produit du méthane qui est émis par éructation. Or, le méthane est un gaz qui contribue à l’effet de serre. Les vaches mangent de l’herbe, ruminent. Selon Science et avenir, «cette fermentation naturelle produit du méthane qu’elles dégagent lorsqu’elles rotent puisque, contrairement aux idées reçues ce sont les rots, et non les flatulences, qui sont à l’origine de l’essentiel du problème».
Examinons de plus près l’utilisation du fumier et prenons la ferme Choinière et Favreau comme exemple, puisque ses propriétaires ont accepté de nous fournir leurs documentations de l’année 2016. Afin que tout soit sous contrôle, certaines parties du pâturage sont dédiées à l’étalement du fumier de vaches à l’air libre. Le maximum prévu est de 4 376kg pour leur territoire qui représente une superficie de 67,40 ha.
Un rapport du Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ) présente les recommandations du Plan Agroenvironnemental de Fertilisation (PAEF) concernant la fertilisation des sols. Celles-ci ont pour objectif la répartition des engrais organiques produits ou importés tels que de l’azote (urée), muriate de potassium et phosphore. Les engrais minéraux sont utilisés au besoin si la terre est pauvre en matières organiques, si elle possède un faible potentiel hydrogène (pH) ou nécessite des éléments fertilisants. Un trop gros surplus de fumier endommagerait donc la qualité de la terre et s’étendrait dans les cours d’eau avoisinant, ce qui serait problématique.
Pour contribuer au renversement du réchauffement, certaines fermes ont installé un système qui permet de prendre le fumier bovin et de le transformer en biométhane pour produire de l’électricité propre. L’énergie solaire fait également sa place au sein des solutions contre le réchauffement climatique. La ferme laitière Optimist Holsteins au Manitoba est la première ferme, selon un article diffusé par Radio-Canada, à avoir la plus grosse centrale photovoltaïque. La Bergerie du Faubourg/ Ferme Lavoie Banville de Saint-Narcisse-de-Rimouski emboîte le pas de ce mouvement en utilisant ce type d’équipement depuis septembre 2019.
Manque de données
Une des lacunes importantes à retenir c’est que les chiffres exposés par diverses sources sur le net sont soit manquants ou bien négligés. Par exemple, l’Institut de la statistique Québec présente un rapport sur la quantité de produits laitiers vendus par les laiteries. Ce rapport présente six mois de statistiques sur douze, ce qui laisse sous-entendre un manque de suivi. Également, le site propose des données sur l’importation et l’exportation à l’ international sur les produits laitiers mais seulement de 2001-2011. Où est le reste des années?
Un phénomène plutôt curieux puisque le gouvernement impose aux fermiers de remplir un impressionnant nombre de papiers. Pour la ferme Choinière Favreau, remplir ces papiers pour la moindre information n’est peut-être pas aussi essentiel que cela devrait l’être.
Les défis réels de l’industrie
Tous s’entendent pour dire que les défis actuels sont la mondialisation, l’environnement, la paperasse gouvernementale et le réchauffement climatique. De plus, un autre point est fréquemment répété, le manque de main d’œuvre est alarmant. La ferme Godin et Frère a du engager des Guatémaltèques pour remplir les postes vacants puisque les Québécois ne veulent plus s’occuper de la « sale besogne ».
« Engager des immigrants est quelque chose de courant depuis les dernières années puisque la génération suivante ne désire plus suivre les traces de ses parents. La modernisation lui permet de faire le métier qu’elle souhaite, on se retrouve alors sans famille pour prendre le relai », confie Gaëtan de la ferme Choinière Favreau.
Pour Nathalie Veinette, les gens sont essoufflés parce qu’il y a trop de règlements stricts vis-à-vis leur travail et que cela demande plus de temps que nécessaire.
En conclusion
Avoir une ferme laitière possède des bons et des moins bons côtés. D’une part, il y a trop de documents à remplir pour répondre aux demandes du gouvernement, la main d’œuvre québécoise est presque absente et les fermiers doivent jongler avec les problèmes environnementaux. L’Accord de libre-échange n’est guère en faveur des fermes québécoises puisque l’Europe envoie ses surplus tandis que le Canada reste prise avec, négligeant même nos produits «locaux». D’autre part, il y a beaucoup d’espoir concernant le renversement des gaz à effet de serre produits par les espèces bovines puisque leur méthane peut être transformé en biométhane pour produire de l’électricité propre et les fermes peuvent utiliser l’énergie solaire pour alimenter leurs bâtiments. Concernant le bien-être animal et le respect de l’environnement, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles puisque les fermiers québécois ont à cœur la santé de l’animal et ne désirent pas les dénaturer, bien que certains militants pour les Droits des animaux n’apprécient guère le sort réservé aux veaux.
Nous pouvons donc conclure que l’engouement des réseaux sociaux à montrer simplement une industrie focalisée sur l’argent et sur la maltraitance des animaux est basée sur de fausses informations, en ce qui attrait à l’industrie laitière au Québec.
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